Un moment d'écriture
Céline Baudu

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Un moment d'écriture


Longtemps je me suis censurée, je ne pouvais pas, je ne savais pas. Un champ stérile.<
Je réduisais mon énergie créative à l’écriture de cartes postales ou à de longues lettres à mes amis dispersés : Internet et les portables n’existaient pas. Encore maintenant, je craque pour du papier à lettres (ô charme désuet !) ou des cartes. Mon secrétaire déborde de boîtes contenant des cartes. Le champ des possibles.
Parfois elles dorment des années avant d’être projetées dans la dure réalité de l’affranchissement. Pas toujours évident de trouver la bonne carte pour le bon destinataire en tenant compte du contexte.
L’écrivain de mon entourage, c’était mon copain de fac Olivier et son ombre pétrifiante me tétanisait. Un ver de terre amoureux d’une étoile. J’avais lu tous ses manuscrits, je lui avais rapporté fidèlement toutes mes émotions, j’avais émis quelques remarques. Le rôle de lectrice critique me convenait bien. Ecrire : un tabou.
Après ce fut les années où mes ancêtres disparurent. Je fus commise d’office au rôle d’écrire les discours pour la messe d’enterrement. Je n’eus aucun compliment de la part de mes parents prescripteurs : ça n’allait jamais ce que j’écrivais.
La veille, je devais lire impérativement dans la cuisine mon texte décortiqué et haché menu par leurs remarques acerbes . Un champ de bataille.
Puis le lendemain, il fallait lire dans l’église sombre, froide, dans une atmosphère décalée du quotidien, devant un cercueil vide, c’était le pire.
Par contre, les compliments du reste de la famille apaisaient mon cœur et l’émotion que j’avais voulu transmettre dans mon discours n’était pas tombée à plat : un soulagement. J’ai enterré sous les plus doux souvenirs mes grand-tantes Francine et Ninette et ma grand-mère Yvonne qui s’appelait en réalité Gabrielle.
Puis un cousin de ma mère m’a demandé d’écrire le discours pour l’enterrement de sa sœur. J’avais le champ libre. Légny est devenu dans mes souvenirs une crèche où chaque habitant avait une personnalité originale. Ainsi, je suis devenu la plume mortuaire de la famille. Un champ de la mort.
Et puis l’orthophoniste de mon fils Catherine m’a demandé de relire son texte : Le roi des oiseaux.
Elle avait écrit ce conte avec un plaisir jubilatoire.
Nous avons discuté de certains passages, de la construction d’un verbe… Plaisir partagé. Et là, je me suis dit : et si moi aussi…
Le doute s’est insinué. L’envie a grandi d’autant plus que mon copain de fac avait disparu de la circulation. Un champ vide.
En février, Ida, malvoyante, est venue parler à mes élèves de son handicap. Son chien guide Hoofy l’accompagnait. 2H de présentation très bien organisé : une démonstration (le chien gère les obstacles en hauteur aussi) puis Ida raconte des anecdotes, sensibilise son auditoire, elle montre une vidéo d’une femme non-voyante qui se déplace en bus avec son chien, elle propose un QCM et un jeu de vocabulaire en italien. Sinistra.
Très bel après-midi.
Les élèves ont pu caresser le chien noir splendide à la fin de son intervention.
Une jeune femme d’une grande dignité, posée, raisonnable et déterminée. Un champ de liberté.
On se sent tout petit face à cette force.
C’était un vendredi après-midi.
J’ai été impressionnée, très émue.
La première impression que j’ai eue d’Ida a été d’une étrangeté singulière. Je suis rentrée dans la salle des profs, j’ai vu le chien et j’ai cherché Ida. A côté du chien, se trouvait un jeune homme très gracile aux cheveux ultra courts habillé d’un pull vert terne et d’un pantalon noir. Je l’ai pris pour un stagiaire aux yeux verts affilié au chien. C’était Ida. Elle était mariée et elle avait déjà un fils.
Le contraste entre son physique chétif et la force de son caractère m’a définitivement frappé.
Je suis rentrée chez moi, je n’ai pas quitté mon manteau. Il fait 13 degrés dans ma cuisine quand le poêle n’est pas allumé. J’ai pris une feuille et j’ai écrit sur le champ sous le coup de l’émotion.
Fébrilement.
Les vannes se sont ouvertes. Donner libre champ à son imagination. Un champ de patates.
J’ai écrit une histoire fantastique où le chien Hoofy l’emmenait dans un passage couvert rempli de boutiques orientales.
Ensuite, j’ai imaginé qu’elle rentrait dans une boutique qui avait changé d’enseigne. Quiproquo.
Dans une autre nouvelle, on lui volait son chien.
Dans un dernier récit, elle rencontrait le soir au parc à chien un vieil homme solitaire.
Puis le champ des possibilités s’est tari. Plus de pistes. Rien à flairer. Le chant du cygne.
Les aventures d’Ida et Hoofy dans un monde où l’humanité offrait plus de solidarité et de chaleur humaine. Le pays des Bisounours : Tarare qui renait de ses cendres avec une usine transformée en souk.
Un groupe d’assistantes maternelles qui veillent jalousement sur Hoofy.
Un café – brocante solidaire qui existe déjà à Châtillon où Ida brise sa solitude.
Ida m’a guidé sur les capacités du chien.
Djamel l’agent d’entretien de mon collège m’a donné des détails sur les artisans des souks.
Mes élèves ont inventé eux aussi des histoires autour d’Ida et de son chien.
En correction, j’ai lu mes nouvelles à ce public averti.
Un beau moment de partage. Une effervescence créative. Un champ magnétique.
Dopés par mes lectures, mes élèves ont amélioré leur brouillon et j’ai retrouvé comme un clin d’œil une tasse de thé au détour d’une phrase, un petit détail inspiré de mes textes.
Une capillarité émouvante.
Le champ des mots.

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©