La première fois que je suis mort
Jean-François Corbet

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

La première fois que je suis mort


Certains pensent que l'on n'a qu'une vie . On a même fait des expressions : "on n'a qu'une vie, hein, faut en profiter"...."profites-z-en, on ne vit qu'une fois..."
Quelle chance ils ont.
Ils ne se rappellent de rien.
De leurs vies, de leurs morts précédentes.

L'homme nait, souffre et meurt.
Ben tu parles d'un programme...Remarque, mon p'tit Marcel, c'est pas faux.
Si tu considères qu'entre la naissance et la mort, y'a qu'la vie ici bas, ben t'as pas tort.
Quand t'es enfant, la plupart du temps c'est torgnole et compagnie, après c'est juste un peu de plaisir du corps, si tu trouves chaussure à ton pied, et puis après c'est des emmerdes à plus en finir.

Enfin, tu sais ce qu'on dit, la première partie de ta vie, t'es emmerdé par tes parents, la seconde, c'est par tes enfants.

J'vais te dire Marcel..........ça résume bien l'éternité.

Et q'tu naisses ici à Paris, à Pékin, à Ouagadougou ou ailleurs, qu'ça soit aujourd'hui ou hier, hé ben c'est kif kif bourricot.

AAh, il me fait marrer le Dalaï Lama, avec son incarnation. Il ne se rappelle que vaguement de sa vie passée.
Et ben moi, mon pote, j'men rappelle exactement, et même de celle d'avant , et même de celle d'encore avant. J'me rappelle même de la première. Et même comment j'suis mort la première fois.

Bon c'est pas la peine que j'raconte. Les gens me prennent déjà pour un clodo, ce que je suis, alors j'ai pas envie qu'y m'prennent pour un brelin, ce que j'suis pas.

J'vais t'dire un truc, Marcel, et écoute bien c'que j'vais t'dire...ch'ai pas pourquoi j'vais te l'dire, mais j'vais te l'dire.... Bon c'est p'tête que t'as l'air simplet alors qu'c'est qu'tu vas comprendre c'que j'vais t'dire....Tu m'entends ?....J'vais te l'dire l'secret, moi....
Et ben c'est qu'en fait t'as pas l'choix....
Tu nais ici ou là, et ben t'as pas l'choix mon pote.
Et t'y comprends rien pourquoi qu'tes là et pas ailleurs.
Pourquoi qu'tu nais au bon endroit ou au mauvais.
Pourquoi qu'on va t'donner des calins ou des coups de pieds au cul....

On dirait qu'Dieu, s'il existe, et ben y joue à la roulette avec tes vies successives. Allez hop, j'le mets là, et puis non, là.... Tiens, ça l'changera.
Ecoute moi bien Marcel, moi, ça fait 34 fois que j'suis né, et 33 fois que j'suis mort. Me d'mande pas pourquoi, j'en sais rien. Me d'mande pas comment, j'en sais rien. Et j'sais pas non plus pourquoi j'me rappelle de tout...Non, ça, j'en sais rien.
Mais j'vais t'dire un truc.

J'suis mort à chaque fois. Et à chaque fois j'ai eu peur.

La première fois, faut dire, qu'cétait pas drôle.
J'suis mort jeune ! ..............Et puis j'étais belle.

Ah oui, j'tai pas dit, j'étais une femme. Enfin une jeune fille. Une paysanne.
Enfin, j'aurai pu vivre peinarde, à la campagne, avec mes chèvres. Et ben non, Y'a fallu qu'il y ait des cons qui viennent me chercher sous prétexte que j'faisais des décoctions avec des feuilles et des racines. Ils ont dit que j'étais une sorcière.
Les cons.
Des ignorants bornés, y'en a toujours. Enfin à bien y r'garder y'a même que d'ça....enfin bref
Et ben tu sais quoi ???
Y -z-ont fini par m'brûler les saligauds.
Bon Dieu....
J'me rappele encore comment ça fait mal. Ah, j'te jure, on pense qu'on meure vite... Mais c'est pas vrai, c'est des conneries....
Moi j'ai bien eu le temps de m'sentir cuire.
Et sentir ta viande qui cuit, hé ben même si t'as faim quand tu crèves, c'est étrange mais ça fait pas plaisir...

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©