Demain j'aurai 6 ans
Brigitte Regley

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Demain j'aurai 6 ans


Avec ses cheveux frisés et ses taches de rousseur, on pourrait croire qu’il s’appelle poil de carotte. Mais non, ses parents l’ont appelé Noah. Il n’a pas de frères et sœurs. Aujourd’hui c’est la veille de son anniversaire. Demain, il aura 6 ans.
Noah est un petit garçon sans histoire. Il est très affectueux. Il adore qu’on lui raconte des histoires mais, il a un défaut : il croit toujours que les histoires sont vraies. Par exemple, si on lui dit que les murs ont des oreilles, il cherche les oreilles sur le mur. Si on lui dit que les carottes ça rend aimable, il en mange beaucoup et demande s’il est aimable à tous les gens qu’il croise. Si on lui demande s’il donne sa langue au chat, il dit qu’il veut garder sa langue et ferme la bouche.
Il est dans sa chambre. Il range soigneusement tous ses vêtements dans des sacs en plastique qu’il a récupérés depuis quelques jours. Il enferme tous ses jouets dans son coffre et met quelques livres dessus, croyant ainsi qu’on ne pourra plus l’ouvrir.
Il n’a plus d’habits sur lui, mais au moment de sortir, il décide d’enfiler un pull appartenant à son père qui lui arrive jusqu’aux chevilles. Il est trop grand, mais au moins il n’aura pas froid.
Il prend garde à ne faire aucun bruit en sortant de sa chambre et réussit à sortir de la maison sans être vu. Il a juste emporté son ours fétiche pour ne pas se sentir trop seul, pour lui confier ses peurs si elles sont trop lourdes à porter et un sac avec quelques bonbons et un pain au chocolat.
Le voilà à présent sur la route. Il connaît bien les alentours car il va souvent s’y promener avec sa mère. Il avance d’un pas tranquille, dos au soleil. Il ne sait pas vraiment qu’elle heure il est, il ne sait pas vraiment combien de temps il lui faudra pour atteindre la petite cabane qu’il connaît parce que d’ordinaire, quand il y va avec sa mère, ils font une partie du trajet en voiture. Mais il est décidé. De toute façon il n’a pas le choix pense-t-il. C’est sûr, il ne veut pas dormir jusqu’à demain parce que demain il aura 6 ans et il ne veut pas avoir 6 ans.

Maintenant, il a quitté la route et il marche sur un sentier en terre. IL s’arrête et s’assoit sur une grosse pierre. Il est un peu fatigué, mais toujours déterminé. Il ne sait pas comment il va arriver à ne pas dormir cette nuit. Il a un peu peur mais il ne veut pas se l’avouer et puis, il n’est pas seul, il a son…. « Oh non, ce n’est pas possible ». Il a perdu son ours. Il se lève, s’affole et rebrousse chemin. Il se met à courir mais se prend les pieds dans son pull bien trop grand. Il tombe, s’écorche les genoux, ne se relève pas tout de suite et se met à pleurer. Le sac contenant ses maigres provisions s’est ouvert et les bonbons se sont répandus sur le chemin. Il ne pense plus du tout à son anniversaire qu’il ne veut pas fêter. Il pleure. Mais ce ne sont pas ses larmes qu’il sent sur sa main. C’est la langue râpeuse d’un chat efflanqué. Instinctivement il prend son pain au chocolat et le coupe en petits morceaux qu’il lui donne. Affamé, celui-ci se jette dessus et dévore jusqu’à la dernière miette. Noah cesse de pleurer et regarde ce chat qui a l’air bien plus malheureux que lui, finalement ;
Il commence à le caresser mais à peine l’a-t-il touché que celui-ci se transforme en un jeune garçon qui se met à lui parler.
Noah n’en croit pas ses yeux et spontanément lui explique qu’il est là parce qu’il ne veut pas dormir cette nuit parce qu’il ne veut pas avoir 6 ans.
Le jeune homme éclate de rire et se penche à son oreille pour lui dire quelque chose, comme s’il ne voulait pas être entendu, comme s’il lui confiait un secret puis il sort d’on ne sait où un paquet qu’il donne à Noah en lui faisant promettre de ne l’ouvrir que demain.

Noah prend le paquet, son ours qu’il a retrouvé comme par enchantement à côté de lui et reprend sa marche ; Il se demande bien ce que peut contenir le paquet. Il brûle d’envie de l’ouvrir mais il a promis. Et il veut respecter sa promesse. En tout cas, il n’a plus peur et plus mal.
Peu à peu, le ciel s’obscurcit, des nuages apparaissent. On entend le tonnerre qui gronde au loin. Des éclairs fendent l’espace. Il recommence à avoir peur mais cette fois-ci c’est de l’orage qui vient d’éclater. De grosses gouttes ruissèlent sur ses cheveux et bientôt il est entièrement mouillé. De façon incongrue il se met à chanter à tue-tête, sans doute pour s’encourager « il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille »Et comme il prend toujours tout pour argent comptant, il n’est guère étonné quand une grenouille se met en travers de son chemin et tout en sautant devant lui l’entraîne vers une cabane où il pourra se mettre à l’abri en attendant que l’orage cesse.
Il essaie tant bien que mal de tordre les manches saturées d’eau de son pull. Il a moins peur car finalement à chaque fois qu’il avait peur il a fait une bonne rencontre.
Il commence à se demander si c’est si terrible que ça de grandir. S’il n’y avait pas ce problème de vêtements, il aimerait peut-être avoir 6 ans, finalement.
Tout en suçant les quelques bonbons qui lui restent, il reprend confiance et c’est avec le sourire qu’il accueille l’homme qui est dans l’embrasure de la porte.
Pourtant, il n’y a pas de quoi être rassuré. Ses cheveux sont hirsutes, tout collés. IL est en haillons et est repoussant avec ses vêtements sales. Une odeur âpre a envahi la cabane depuis quelques minutes.
Noah s’approche de lui et est effrayé quand l’homme le saisit brutalement par les épaules et hurle des propos incohérents. Si Noah était plus grand, il comprendrait que cet homme est saoul. Il essaie de se débattre mais en vain. L’homme a déjà réussi à lui prendre son pull et Noah se retrouve tout nu. Instinctivement il s’accroupit et protège son corps avec ses bras. Mais l’homme a déjà disparu.
Noah n’ose plus bouger. Il a froid, il a peur, il étend son bras pour prendre son ours et heurte le paquet. La nuit est tombée. Il grelotte de froid et il se dit qu’il aimerait bien être à demain. Et tant pis si demain c’est son anniversaire. Il aimerait bien être avec ses parents. Il triture le paquet tant et si bien qu’il finit par s’ouvrir.
« on n’est pas encore demain, mais on n’est plus aujourd’hui non plus » Il n’a pas encore 6 ans mais il n’a presque plus 5 ans. Il n’a pas ouvert le paquet, il s’est ouvert tout seul. Alors, il se décide à regarder ce qu’il y a dedans. Il tend la main.

Mais tout à coup il est ébloui par une forte lumière. Il ouvre les yeux. Il est dans son lit et sa mère lui tend un paquet en lui disant « bon anniversaire, mon chéri, tu es un grand maintenant que tu as 6 ans »
Puis, elle regarde autour et découvre les vêtements rangés dans les sacs, le coffre fermé. Devant ses yeux étonnés Noah lui dit « je croyais que quand je me réveillerais, mes vêtements de 5 ans seraient trop petits et que je n’aurais plus rien à mettre ». Sa mère sourit, le prend dans ses bras, l’embrasse affectueusement et lui dit « gros nigaud, on ne grandit pas d’un seul coup le jour de ses 6 ans, mais tous les jours un petit peu ».

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©