Papillon
Geneviève Roussel

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Papillon


Un sacré bourrin, ce Papillon ! De son pas lourd de
percheron il traîne la charrue, entraînant à ses côtés le Paul et le Marcel.
Tous trois s’en vont retourner le champ des Esquiviaud. Ils cheminent
paisiblement. C’est l’automne, les arbres commencent à se déplumer. Pas besoin
de se presser, y aura largement le temps de terminer avant que le jour baisse. En arrivant, une chose essentielle :
mettre la bouteille au frais, le cul dans le ruisseau, à l’ombre de la haie.
C’est pas que le soleil soit très chaud, mais labourer, ça donne soif. C’est pas
un travail pour gringalet, faut de la résistance, de la constance. Alors on y
va tranquille. Regardez le, lui, ce mastodonte, est-ce qu’il se pose la
question de la fin du jour, des fois ?
Il va, il va, il fait ce qu’il a à faire. Le sillon, on
l’entame bien droit, arrivé au bout on se retourne et on repart dans l’autre
sens, bien parallèle. Quand on a terminé le champ, on rentre à la ferme. On
mange, on se couche. Le lendemain on repart, travailler un autre champ. Au bout
de la saison vient l’hiver.

L’hiver, on se repose un peu, mais y a quand même de quoi
s’occuper. Toujours la traite, et puis tailler des piquets, réparer toutes
sortes de choses. L’hiver Papillon passe presque tout son temps à l’écurie,
chauffé par les vaches. Bien logé, bien nourri. Nous on reste bien plus souvent
dans la cuisine. Parfois pour bricoler quelque chaise cassée ou un tiroir qui
ferme mal, lorsqu’il fait vraiment trop froid dans le hangar. Et parfois même
pour donner un coup de main à la Mélanie, notre sœur. C’est dire qu’on n’est
pas bousculés.
Chez nous on dit : l’hiver l’homme prend graisse mais
nenni ne s’affaisse.
En attendant, la semaine qui vient on va attaquer le bois.
On a déjà coupé les arbres. Y avait des troncs gros comme une barrique.
Papillons les a traînés jusqu’ici comme des cannes à pêche. Toujours piano
piano. Lentement mais sûrement, c’est le
mieux dans la vie. Une vie de bourrin vous me direz.
Oui, mais ma fois, de son pas lent et pesant, de toute sa
force, il nous assure, il nous rassure.
C’est un bourrin de terroir, pas un cheval de manoir.
Il est lourd, il s’en va pas courir la prétentaine. Juste,
arrivé dans la cour, il va boire à la fontaine et tout seul retrouve sa place à
l’écurie. Un bourrin comme lui, c’est peut être pas très malin, mais tellement
puissant ! Aucun coup du sort ne lui casserait les reins. En plus, sa
force, il sait la doser, s’en servir juste comme de besoin. Un percheron, si on
le prend bien, c’est la patience même. Tu lui dis de rester là, il ne va pas bouger.
Il faut voir comment il pète la santé. Avec lui y a pas
grand-chose à réparer, des fois une sangle, à la longue, si on l’a trop fait tirer,
et les fers à ses sabots. Alors, par rapport à tout ce qui change si vite,
maintenant, tout ce qu’on achète et qu’on jette, Papillon, lui, ça fait des
années qu’il est toujours pareil, toujours là pour nous aider au travail.
A voir sa forme massive, pleine, charnue, on est
réconfortés. C’est un sacré perchoir, bien balancé, pour les oiseaux des prés.
Et ça nous plait de passer la
journée à ses côtés, le bouchonner, lui donner à manger, avant d’aller secouer
nos godillots, nous débarbouiller à
la fontaine et rentrer pour le dîner.
Un sacré bourrin, ce Papillon…bête de somme, ouais…c’est
notre vie aussi.
Lui et nous, c’est tout comme.

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©