Sourderie - Episode 1
Daniel Leclercq

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Sourderie - Episode 1


José a un vélo dans la tête.
Un petit vélo.Pas de petit-fils ou de petite fille pour le suivre,… quand il part de la rue « écoute s’il pleut » où il habite et va faire le tour du bassin de la Sourderie. Depuis le retour de vacances au Portugal, cette absence tourne à l'obsession. Là-bas, Solène sa fille unique s’est installée et fait prospérer une agence de voyages. Que de fois, son visage s’est éclairé des milles dépaysements qu’elle rêve pour vous, mais pour elle, aucun petit ami à l’horizon ! Ce matin, José est déterminé. Il veut en savoir plus. Si elle n’aime plus les garçons c’est la faute au comptoir des thés, une boutique où il aimait tant aller avec elle, gamine, pour les confiseries. Mais , derrière les étagères aux boites et aux pots bien rangés, se tiennent des conciliabules de femmes, des conspirations pour éliminer les hommes de leurs vies.
Que sa femme Mado en soit, il s’y est résolu ; pour tout dire, ce serait même plutôt un soulagement. Quitte à ce qu’elle divague autant que ça reste à quelques encablures de la maison ; mais que sa fille quitte le rafiot de la vie de famille comme il faut pour le cabotage sans progéniture… alors, là… il veut comprendre.
Toujours aussi attirante cette vitrine, Avenue Jules Vernes, au coin du de la façade néo-classique dessinée par Ricardo Bofill. Face au bassin, la devanture vous embarque pour les orients anciens aux herbes précieuses. En pignon, les cafés s’éclatent vers des occidents de nouvelles Indes. Entrer, faire le tour du monde pour les grands, rêver de grand large et laisser dans un recoin comme un cocon, les petiots s’ébahirent de confiseries et chocolat à fleur de nez.
C’est une boutique escale, un port où des bateaux venus de partout ne se devinent que par leurs cargaisons savamment empaquetées ; c’est un quai sur un coin de terrasse. A l’arrière, il se cache derrière ses étagères bien rangées aux odeurs hypnotiques. Ecoutez ces chuchotements entrecoupés d’éclats de rires ! Le visage du chinois tenancier des lieux les résume, sourire énigmatique autant que jovial, lisse autant que saisissant. Il n’est pas chinois, mais « boat people » échoué ici selon les uns, mais pour lui, déposé par les Dieux cléments au palais de ses rêves les plus fous.
- Oh, Monsieur Rodriguez, quel plaisir, il y a si longtemps ! Comment va Solène, là-bas à Lisbonne dont elle rêvait tant ? Votre femme n’en parle jamais
- Bien ! Mais… José ne trouve pas ses mots.
Les effluves odorantes qui l’interpellent sont aussi insaisissables que les pensées brouillées qui s’embouclent en lui. Le chinois perçoit son trouble, et comme si rien n’avait été dit de part et d’autre reprend son sourire d’accueil suivi d’un hochement de tête.

- Je vous laisse choisir, je vais servir du thé dehors.
Avec le jeu des reflets entre la vitrine et les miroirs variés de la boutique, José n’a pas de mal à reconnaître autour d’une table de bistrot dehors, Mado et une amie. A l’arrivée du chinois, celle-ci se lève et s’oriente pour traverser la boutique. Le chinois la happe du regard. Elle s’arrête et l’interroge d’un coup de menton.
- Le père de Solène murmure-t-il, sans que Mado y prête la moindre attention.
Elle est comme souvent en voyage immobile. José a suivi la scène dans les reflets. Difficile de ne pas être fortement troublé par les charmes déployés de la femme qui s’avance vers lui ! Avec des yeux, à vous envouter un taureau crétois, elle lui tend la main
- Je suis, Laïka, une amie de Mado et de Solène. C’est formidable de faire votre connaissance ici ! Comment va-Solène ? Là-bas, si loin. José balbutie.
- Bien ! son agence se déve…
Laïka change de mine, comme un vent de tourmente se lève dans son regard rivé sur José.
- Je sais, je l’ai eue hier au téléphone !
A son tour, José sent un vent de colère monter en lui.
- Je vous demande de ses nouvelles à elle, pas de son affaire !
Elle le saisit par le bras.
- Sortons !
C’en est trop pour José, plus de colère, plus d’effluves de café, plus de désir charnel…, mais cette chape d’incompréhension à laquelle il se heurte de plus en plus souvent. Laïka perçoit son désarroi. En quelques secondes, dehors, le cri des mouettes et des goélands sur le bassin, la poigne de Laïka sur son bras ramènent José à l’air libre…, mais toujours aussi paumé.
- Bon, va falloir qu’on se connaissent mieux tous les deux, lui murmure Laïka en prenant un air complice.
Son choix est fait. Pour revoir Solène, la roue de fortune c’est José.
A suivre...

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©