Famille !
Isabelle Viry

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Famille !


Tu es vraiment famille, toi ! phrase qui me situait, me recalait régulièrement dans un espace généalogique défini, légal, connu.
Tu as ta place, reconnais donc ta lignée, semblait confirmer cette injonction.
Phrase longtemps signifiée, exprimée par la lignée paternelle auprès de laquelle je filais, à l’époque , des jours heureux. Existence de cet espace temps là, fragment d’une histoire personnelle, où les signes d’appartenance sont nombreux et bienveillants à mon égard.
Dans ma fratrie, je suis la seule à avoir tant apprécié cette dimension familiale, à avoir eu le goût de partager ces moments familiaux, seule à avoir tissé cette toile d’araignée de souvenirs, de liens construits au fil des années.

Il y en avaient qui en étaient, d’autres qui pouvaient toujours s’ingénier à gesticuler, minauder, charmer, leur sort était définitivement lié au regard bref, intuitif et incisif de ma grand-mère paternelle.
Je n’ai jamais compris ce qui faisait basculer le sort de l’élu d’un côté ou de l’autre de la balance, mais telle était la réalité : on était adulé ou exclu.
C’était irréductible !
On était famille, de la famille, estampillé pur jus, origine contrôlée, ou alors accroché vite fait sur une branche généalogique, au bout d’un trait, griffonné sur le coin d’une feuille, bien obligé, mais le cœur n’y était pas, quant aux liens du sang, n’en parlons pas !

Une dimension clanique, 13 enfants, des petits enfants à la pelle, la tribu tournée sur elle-même.
Enfant, j’adorais cette famille assez originale, il y avait de tout : des lyonnais de la presqu’île, des bouseux du Larzac, des soixante-huitards irréductibles, des musiciens, des intellos, des manuels, des rigolos, des ennuyeux épouvantables, des moralistes, des qui sans fichaient, des gauchos, des tradis, des chrétiens, des athées revendiqués, même un qui avait fait de la taule pour avoir défoncé le dentier d’un flic qui s’acharnait sur un clochard ivre qui défigurait le trottoir de son allure et de ses déclamations….un véritable échantillon sociologique.
Pas toujours facile, des soirées animées, mais toujours un même port auquel se relier :la famille.
Enfant j’étais tombée du bon côté…histoire de chance, j’ai toujours eu un faible pour cette grand-mère qui, elle aussi, me le rendait bien. Je me suis défendue de ses côtés drastiques, on riait ensemble, elle avait beaucoup d’humour et croquait la vie et les personnes d’une manière incroyable. Son coup de crayon était à la mesure de ses caricatures intellectuelles.
Je sentais bien l’injustice de son attitude vis-à-vis de certains membres de la famille, je voyais bien certains en souffrir, essuyer quelques larmes, ravaler leurs colères et leurs incompréhensions …elle était comme cela, la raisonner ne faisait qu’amplifier l’exclusion de celui ou celle qu’on cherchait à réintégrer dans le sein familial.
Elle provoquait le même comportement pour elle-même que celui qu’elle infligeait aux membres de sa famille…on la prenait telle qu’elle, ou on la rejetait.

C’est l’implicite de la règle familiale qui fait loi. C’est l’implicite des valeurs qui fondent l’ancrage au port. On n’y déroge pas. On ne vient pas questionner l’histoire familiale, les rites, les légendes, les racines.
On y entre pour y adhérer sans faille, totalement, intégralement.
On laisse son identité au vestiaire, on prend l’identité familiale, c’est elle qui prime.
Déroger donne le signal d’une forme de trahison : Alors, le processus se met en marche, insidieux, inconscient, la distance s’insinue, se creuse, les îles et les ports se différencient, ne sont plus les mêmes….les mers font naviguer autrement…

Je me rappelle ta mauvaise foi lors de mon mariage, lorsque tu as refusé de venir parce qu’il était célébré par Jacques Gaillot qui faisait la une de tous les journaux à l’époque. Tu faisais preuve dans ces moments là d’un manque d’honnêteté incroyable.

Famille, je m’y suis logée, j’ai aimé le temps de l’enfance, de l’adolescence. j’ai vite été fatigué de ton intransigeance, de tes codes, de ton manque d’ouverture.
J’en ai crée une, je ne sais ce qu’en dirons, aimerons, rejetterons mes enfants.
Les liens y sont forts, la fratrie soudée, mais la famille n’est pas le seul ancrage que j’inculque et transmets.

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©