Au gré de la pluie
Odile Deviras

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Au gré de la pluie


La cloche de l'école a sonné, les enfants se rangent les uns derrière les autres.
En un instant la placette est noire de monde : les papas et les mamans ont les
bras chargés d'impers, de k-way rose, de parapluies kitty car la pluie a remplacé
le clair soleil du matin. Le petit casino est ouvert, chacun rapporte une
friandise, une barre de chocolat, une brioche pralinée et même des chamallows.
À 11h25 une maman impatiente qui reste dans la voiture rouge garée sur le
trottoir, gène le passage des jeunes enfants, ceux qu'on vient de récupérer
chez la nourrice, ou ceux qui sont restés à la maison. Justement une jeune
femme est obligée de descendre sur la chaussée avec un enfant dans sa poussette
qui ressemble à une grenouille sous le paravent plastique constellé de gouttes
de pluie.

Là-bas dans la cour, une maman harponne la maîtresse, elle veut savoir pourquoi sa
fille n'aime plus l'école. La jeune enseignante se lance dans une longue
explication pédagogique, cependant elle ne peut parvenir au bout de son
raisonnement, la gamine dont il est question, teigneuse en diable, tire soudain
sa mère par la manche. Toutes deux plantent là la professeure des écoles qui
ravale sa bile parce qu'en plus il lui faudra sécher et coiffer ses cheveux bouclés
avant le retour des élèves, elle se promet que demain la petite dégourdie
appréciera encore moins ses heures de cours. L'éducation nationale n'est plus
ce qu'elle était, le buste de Jules Ferry doit remuer sur son socle.

C'est le 14 avril, il y a une grande effervescence dans la petite bourgade, la
fanfare municipale est en place, la pluie met des couacs dans les trombones,
fait glisser les baguettes sur la peau des tambours. Personne ne songe plus à
rentrer pour déjeuner, les flonflons, les costumes multicolores et surtout les
majorettes qui défilent en lançant très haut leurs rubans, excitent les gosses
qui crient et courent dans tous les sens. Soudain un orage violent remplace la
pluie printanière. Il ne ne reste bientôt sur la place que les musiciens et les
majorettes sous des parapluies ouverts précipitamment par leurs mamans
désolées. Plus personne n'a le courage de jouer ou de défiler, il n'y a plus de
public.

Le jardinier municipal stoïque, la mèche dégoulinante sur le nez, continue de
planter des pensées et autres fleurs bariolées autour de la stèle
commémorative. Aussi brusquement qu'elle a commencé la pluie cesse. Le
jardinier fort dépité, se relève et tente de désengluer ses bottes de
caoutchouc de la terre grasse et détrempée, il exécute un pas de deux en se
rattrapant de justesse au monument. Le camion rouge de retour à la caserne fait
résonner un joyeux pin-pon, les pompiers saluent ainsi cette danse improvisée,
et c'est un tonnerre d'applaudissements des musiciens et majorettes qui ont
admiré le spectacle. « Notre jardinier mérite une standing ovation ! » Le ciel les a entendus, un arc-en-ciel auréole le clocher de l'église.

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©