Linda Da Costa
Celui qui touche pour la première fois la peau de son enfant, qui la caresse, qui la respire ; celui qui commande son kebab au camion ambulant avant l’ouverture des grilles pour le match ; celui qui, debout sur les pédales de son vélo, jette un coup d’œil furtif à gauche et grille le feu pour tourner à droite ; celui qui mange son Royal Cheese sans y penser, le nez contre la vitre, l’esprit préoccupé par une phrase trop vite lâchée ; celui qui ramasse une chaussette abandonnée dans le couloir en allant ouvrir la porte au livreur de pizza ; celui qui entame sa quatrième heure supplémentaire de la semaine tout en sachant très bien qu’il ne pourra jamais la récupérer ; celui qui frictionne son fils de 5 ans à la sortie du bain et partage avec lui un doux moment de complicité ; celui qui réalise qu’il n’a plus de clopes, enfile une paire de basket et sort en courant pour atteindre le bureau de tabac avant la fermeture ; celui qui commence à contrecœur et à contrecourant sa « journée » de travail ; celui qui descend la poubelle et la renverse dans l’escalier, attirant à lui un commentaire malvenu de son vieux voisin réac’ ; celui qui prépare ses cours pour le lendemain et réalise que son imprimante n’a plus d’encre ; celui qui télécharge des tubes des années 90’ sur son lecteur MP3, en souvenir des soirées funky de ses 15 ans ; celui qui zappe inlassablement entre toutes les chaînes du câble et de la TNT sans jamais trouver chaussure à son pied ; celui qui guette par la fenêtre en espérant apercevoir sa voisine, et rêve du jour où il trouvera le courage de l’aborder ; celui qui fait l’amour pour la première fois avec cette fille qu’il ne sait pas encore aimer, tout en pensant à ses parents qui vont bientôt rentrer ; celui qui, malgré la douceur singulière de cette soirée d’automne, est seul, a faim, a froid ; celui qui vient de rater le tramway, peste contre le chauffeur et marche dans un immondice canin ; celui qui manque de se faire renverser par un chauffard et lui assène un geste obscène ; celui qui sermonne sa fille qui a pris une heure de colle et est vêtue beaucoup trop légèrement pour la saison ; celui qui démonte la machine à laver d’une mère de famille débordée, espérant en finir le plus vite possible pour rentrer chez lui et se détendre dans un bain chaud et odorant ; celui qui roule à 150 km/h sur la rocade et se délecte du vrombissement de sa nouvelle Suzuki 1100, achetée d’occasion pour un prix étonnant ; celui qui monte dans un wagon, content de retrouver bientôt sa banlieue, et qui, dévorant un livre absolument passionnant, ne réalise que trop tard qu’il n’est pas dans le bon train…
Ceux-là qui, personnages réels ou fictifs, m’ont prêté un instant furtif de leur vie, instant photographié entre 19h50 et 20h10, le mardi 22 novembre 2011 à Lyon.
