Poli-chinelle, monte à l'échelle
Linda Da Costa

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Poli-chinelle, monte à l'échelle


« Poli-chinelle, monte à l’échelle, casse un barreau et tombe à l’eau. Plouf ! ». Je passe ma tête par la fenêtre pour dire à Nathalie qu’elle arrête de chanter aussi fort. Elle me casse les oreilles et j’arrive pas à me concentrer. Elle est gentille Nathalie, elle s’exécute tout de suite. Et puis je la vois partir dans un coin avec sa corde à sauter, la tête baissée. Je crois que je l’ai vexée. C’est pas grave, ça lui passera ! De toute façon, il faut que je finisse mon exercice de mathématiques. MA-Thé-MA-TI-QUES. Les mathématiques ce n’est pas ma tasse de thé. Ma thématique à moi, là, tout de suite, ça serait plutôt de jouer avec mes copines. En plus j’y comprends rien, moi à tout ça, j’ai l’impression de lire du chinois, ou peut-être de l’arabe. Ma voisine, Sabrina, elle est arabe. Elle m’a expliqué ce que ça voulait dire mais j’ai pas tout compris, à part que sa maman doit cacher ses cheveux et qu’elle ne mange pas de jambon ni de saucisson. Ça doit être dur, quand même, c’est trop bon le jambon, surtout avec la raclette, quand elle est bien chaude et qu’on la fait dégouliner dessus.

Peut-être que je devrais demander à Sabrina de venir m’aider, comme elle est arabe, elle doit surement mieux comprendre les maths que moi, à cause de l’origine des chiffres et tout ça. Par contre, je demande pas à Nathalie parce qu’elle boude tout le temps, et puis, de toute façon, elle comprend rien à rien. Pourtant, elle est gentille : hier elle m’a donné presque tout son goûter quand le grand Loïc est venu me piquer la moitié du mien. Quand j’aurais fini mes devoirs, Maman me laissera sûrement jouer avec elle. Enfin, il faut quand même que je me dépêche, il va bientôt faire nuit.

Quand la nuit est là, je n’ai plus envie de sortir jouer car Papa rentre à la maison. J’aime bien l’hiver parce que la nuit arrive vite et qu’on a le temps de jouer avec lui à de vrais jeux en famille. Lui, ce qu’il préfère, c’est le UNO ou le Nain Jaune. Moi, j’aime bien le monopoly mais les parties durent trop longtemps et on ne peut pas laisser le jeu sur la table parce qu’il prend toute la place et ça fait criser Maman. Béa, elle, elle aime les petits chevaux. C’est bête les p’tits ch’vaux, c’est un jeu de bébé. Mais de toute façon Béa c’est encore un bébé, elle suce encore son pouce même des fois à l’école, je l’ai déjà vue. Elle m’a fait promettre de ne rien dire à Papa, il serait trop déçu. Et comme ça, elle sait qu’elle a pas intérêt à m’embêter, sinon je le lâche son secret, non mais !<

Des fois c’est bien d’avoir une petite sœur, ça fait tout ce qu’on veut parce qu’on est plus intelligent et qu’on peut la faire marcher.
Dommage qu’elle sache pas encore faire les mathématiques.

Ma thématique à moi, en fait, c’est de pouvoir passer plein de temps à parler avec mes copines. D’ailleurs, à l’école, la maîtresse elle me félicite pour mes bonnes notes en français, elle m’encourage en mathématiques et elle dit toujours « Lara, si tu arrêtais un peu de bavarder, tu pourrais être la première de la classe » mais moi j’m’en fous d’être la première, j’aime trop discuter, je peux pas m’en empêcher. Je suis comme Maman, sauf qu’elle elle parle des heures dans le téléphone. Elle s’enferme dans sa chambre mais des fois je peux écouter ce qu’elle dit depuis la salle de bain. Je me cache à côté du panier à linge, accroupie dans le noir et j’essaie de respirer le plus doucement possible pour que personne ne me trouve, et surtout pas Maman, ça la fâcherait beaucoup si elle savait. J’aime bien jouer à l’espionne. Des fois, je suis tellement à fond que j’ai le cœur qui fait des accélérations et je me fais peur à moi-même.

Je ne sais pas pourquoi elle s’enferme, Maman, quand elle téléphone, ses conversations c’est quand même pas secret-défense. Papa dit qu’elle parle « chiffon » et s’il veut dire par là qu’elle dit tout et n’importe quoi, il a bien raison.

Moi, avec mes copines, je parle d’aventures. En fait, on s’est créé une sorte de club secret et il nous arrive tout plein de choses extraordinaires : on aide les gens à retrouver un objet qu’ils ont perdu, on se construit des cabanes hyper camouflées dans la forêt – Béa y est allée la semaine dernière pour nous embêter avec Olivier, le grand frère de Nathalie, et ils nous ont même pas trouvées. Et aussi, on affronte des méchants, on envoie des messages dans des bouteilles qu’on jette dans la rivière, on sauve des animaux blessés ou égarés. Pour ça, on est trop fortes : la dernière fois, on a réussi à sauver un bébé hérisson en lui donnant du lait et on lui a même enlevé un vers qu’il avait dans l’œil. C’était trop dégoutant et j’ai même pas eu peur. J’ai pensé à lui qui était tout seul et qui devait avoir si mal, le pauvre, et j’ai pas hésité même si j’avais un peu mal au ventre – j’ai même cru que j’allais vomir sur la robe de Nathalie. Après, on lui avait fait un petit nid douillet dans un carton et on l’avait laissé dans notre cabane mais le lendemain, quand on y est retourné après l’école, il n’était plus là. Sa maman avait dû finir par le repérer à son odeur et elle était sûrement venue le chercher.

Le mieux, aussi, c’est quand on joue près du canal. Il faut faire super attention, Manon dit qu’il a des « bords louches » ce canal, ça veut dire qu’il est entouré de sables mouvants et qu’à n’importe quel moment ils peuvent nous avaler toutes crues. Je sais pas si je la crois mais j’ai quand même un peu peur et je ne veux pas me retrouver dans le ventre du sable, ça doit être bizarre là-dedans, j’imagine qu’il y a plein de petits vers gluants comme dans l’œil du petit hérisson et des tuyaux comme des arêtes – non, je veux dire des artères, comme celles de mon grand-père qui fait un régime pour qu’elles ne soient pas bouchées – des artères, donc, dans lesquelles je glisserai tout au fond, dans un trou immense de vide jusqu’au centre de la terre, et je tomberai dans le noyau brûlant – on a appris ça en science – et je ne pourrais plus jamais remonter et jouer au UNO avec papa, ni à la corde avec Nathalie. Une fois, Manon elle m’a tellement fait peur avec ses histoires que je ne suis pas retournée au canal pendant super longtemps, au moins une semaine ou même un mois. Mais après, y’a Louis qui était venu passer les vacances à la maison et il avait trop envie d’aller jouer là-bas et, là, j’étais obligée d’y aller. Louis c’est mon cousin, il a 11 ans et on est toutes un peu amoureuses de lui...

(à suivre)
 

Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©