Vivante
Françoise de Burine

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Vivante


Il lui sembla sentir sur elle le regard de la statue du Cupidon joufflu et enjoué auprès duquel elle avait recherché réconfort. Elle avait  choisi cette table sous les ombrages des tilleuls majestueux qui laissaient filtrer une verte lumière rafraichissante et reposante. Quand elle s'aperçut de surcroit que son voisin était, certes de pierre et de mousse, Cupidon en personne, elle s’installa sans plus hésiter, à l’écart des autres consommateurs. Le jardin du Luxembourg avait toujours été pour elle une source d'énergie bienfaisante et c'est tout naturellement qu'elle lui avait donné rendez-vous à la terrasse de la buvette du lieu. Elle savait Paris trépider au-delà des frondaisons, et ce sentiment d'être entre parenthèses correspondait tout à fait à l'instant.

S'il venait, l'ombre les cacherait, s'il venait, le soleil les brûlerait.

En regardant au loin des enfants cabriolant, elle entrevit le chapeau oublié sur la chaise au bord du chemin. C’était un chapeau aux larges bords et aux chaudes couleurs de paille. Soleil à lui tout seul, il avait dû en absorber les rayons et brillait dans le clignement de l'ombre des feuillages.

S'il venait, le vent les caresserait.

S'il venait, il n'aurait pas de chapeau. Ou alors, il aurait un panama gris cendré. 

Sa moustache serait toute douce s'il venait et s'il l'embrassait. Il aurait mis un galon autour du chapeau assorti à sa pochette et il ferait tourner sa canne en s'approchant d’elle. Il la verrait, s'il venait, et il serait étonné de sa tenue, sa robe longue et  blanche, son châle à petites fleurs liberty lilas, et son décolleté de dentelles. Il prendrait le chapeau-soleil et il le poserait sur sa tête. Puis il prendrait son visage dans ses mains et il arrangerait ses boucles de cheveux tout autour. 

Elle s'arracha à la contemplation du chapeau et fit tous les efforts pour reprendre idée parisienne du vingt et unième siècle. Elle pensa regarder sa montre, mais elle s'imposa d'attendre encore. Elle savait le temps inconstant. Il suffisait d'être en retard pour que les minutes durent des secondes, et impatiente pour que les aiguilles s'engluent sur le cadran. 

Qu'importe l'heure, d'ailleurs, il n'était pas là et  il ne viendrait pas, bien sûr ! Elle n'aurait pas dû lui lancer cet ultimatum. Il lui aurait fallu se contenter encore de cet amour en pointillé…

Ses yeux se posèrent sur le garçon qui se faufilait entre les tables en portant haut son plateau. Il paraissait flotter dans la lumière frisante. 

Elle se surprit à sourire, heureuse, légère, soudain en harmonie. « Que c’est beau, ce soleil qui tombe en goutte d'or ! Que c'est beau, ce rideau de poussière en paillettes! Bon sang, que c'est chouette, d'être là ! Seule, bien sûr, seule et toujours seule. Et je n'irai pas à Rome, non ! M'en fous ! Ici me suffit ! Le vieux monsieur s'est endormi dans son fauteuil, les enfants courent en couleur, un air de saxo lancine entre les cris et les rires assourdis, sur la table, ma cigarette fume dans le cendrier, un café noir refroidit dans la tasse…. La vie m'emporte…»

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©